C’est un notaire bordelais, Charles Godinet, qui eut le premier l’idée d’une ligne de chemin de fer entre Bordeaux et La Teste, alors que ce mode de transport est encore très rare dans notre pays. A Bordeaux la gare fut prévue à la rencontre de la rue Lecoq et du cours d’Albret, exactement où se trouve aujourd’hui la station de tramway « Palais de Justice ».
Finalement elle fut achevée, en 1941, entre les rues de Ségur, des Treuils et de de Pessac, le bâtiment des voyageurs étant dans l’angle formé par des deux dernières. Une halle abritait trois voies et deux quais, l’un pour le départ, l’autre pour l’arrivée. La halle reprenait exactement le modèles des halles de marchés couverts comme on en trouve encore préservées aujourd’hui, sa charpente étant cintrée.
La gravure rend avec exactitude le style des bâtiments, mais l’artiste prend des libertés avec les proportions pour la présenter plus grande qu’elle ne l’a certainement été, pour cela il a fortement réduit la taille des personnages et du matériel (astuce flatteuse et fréquente à cette époque). De même, l’artiste a représenté la cathédrale de Bordeaux dans l’axe des voies, mais en réalité elle devrait être invisible car cachée par la remise à droite. En réalité, les voies pointent en direction de la place Gambetta, et l’on n’aurait vu dans l’axe que les premiers faubourgs de la ville, encore très éloignés derrière les vignobles, rue Belleville et place Rodesse.
Parmi les détails exacts de la gravure il faut noter la hauteur des quais, arrivant au niveau du plancher des voitures. Cette disposition était courante en Angleterre, mère-patrie du chemin de fer. En France cette disposition était adoptée dans les gares de prestige, mais c’était un luxe inconnu dans les petites gares de campagne. On peut supposer qu’à La Teste la disposition était identique, en tout cas le plan des voies des voyageurs était identique.
Le bâtiment à droite est la remise pour les machines. Elle est également construite d’après un modèle rural, comme une grange, avec sa grande porte. La gravure ne montre pas de plaques tournantes à cet endroit, en concordance avec le plan de l’époque qui ne montre de plaques qu’à l’extrémité des voies, et semble indiquer la présente de chariots transbordeurs permettant de faire glisser latéralement le matériel roulant.
Donnant sur la rue des Treuil, se trouvaient un « magasin du poisson », pour les produits de la mer arrivés de La Teste, ainsi qu’une écurie car il en faut pas oublier que les chemins de fer, pour les petites manœuvres, avaient recours à de chevaux de trait.
Plus près de la rue de Ségur se trouvaient l’atelier des forges, la scierie, l’atelier de charpentiers, un magasin général et le logement de l’ingénieur. Le Chef de gare et le garde-barrière avaient leurs logements donnant sur la rue de Pessac.
Ce que la gravure (en haute de page) ne rend pas, en raison de l’axe de vue, c’est qu’afin d’éviter une trop grande pente depuis Pessac, la voie arrivait à Ségur sur une terrasse élevée à 5 mètres au dessus du sol. Le plan permet par contre de deviner ce promontoire, sur lequel était posé l’ensemble de la gare, qui trônait parmi les vignobles alentour et offrait aux voyageurs un panorama inédit sur la ville.
Sans aucun doute cette situation particulière faisait de la gare de Ségur, à cette époque, l’une des plus belles de France.
La voie ferrée vers La Teste partait à l’ouest, traversant la rue de Ségur par un passage à niveau, et suivant à Talence la rue Emile Zola, qui épouse la courbe de la voie, ce qui est aujourd’hui bien visible en vue aérienne. Elle est suivie d’un court tronçon au nom très explicite : le « Chemin des anciens talus », puis de la rue Paul Bert. On arrive alors à la station électrique de la Médoquine, traversée par un chemin de terre qui est, précisément, l’emplacement exact du tronçon Médoquine – Ségur.
Mais revenons à l’histoire. Passé le temps de l’euphorie, il fallut se rendre à l’évidence : hors de la période estivale, la ligne n’était pas rentable, malgré le trafic marchandises d’huîtres et de poisson pour lesquels elle avait été créée. Placée sous séquestre en 1848, la Compagnie de Bordeaux-La Teste espère s’en sortir en visant la prolongation de la ligne vers Bayonne. Mais les frères Péreire ne l’entendent pas ainsi : ils viennent de fonder la Compagnie du Midi, et celle-ci absorbe la ligne en 1853. La situation administrative devient confuse, car cette même année l’ingénieur Deschamps écrit : « J’ignore si le chemin de fer de La Teste est encore dans mes attributions ! ».
Lorsque la ligne Bordeaux – Bayonne est inaugurée le 26 mars 1855, la Gare de Ségur est encore tête de ligne, mais le 27 mai la Gare du Midi (St-Jean) est opérationnelle, le trafic voyageur y est reporté, Ségur n’abrite alors plus que les bureaux administratifs de la Compagnie du Midi.
L’autorisation de fermer l’embranchement La Médoquine – Ségur est donnée en avril 1863. Mais la fermeture effective pourrait avoir été plus tardive. La zone de la gare à voyageurs est louée à l’Administration des Tabacs qui s’en sert comme entrepôt.
Le plan de 1868 est particulièrement vague : il situe la « remise » exagérément éloignée de la rue des Treuils. Le bâtiment des voyageurs est toujours là, avec une petite extension au nord. Les bâtiments des forges et ateliers existent toujours, mais ils sont en plein déclin, le plan ne les montre pas desservis par des voies (mais le plan est schématique). En concordance avec ce qu’on sait, il y a encore un trafic marchandises, ce qui tendrait à prouver que des produits de la mer arrivent toujours au « hangar à poisson » de la rue des Treuils depuis la gare de Talence-Médoquine.
La gare sert d’atelier de cartouches pour le Comité de Défense de la Gironde pendant la guerre de 1870-1871. Puis toute la zone est vendue au Ministère de la Guerre en 1875. Les militaires ne conservèrent que la remise des machines, mais en ayant muré l’arche d’entrée et ayant percé la façade de portes et de fenêtres, le bâtiment était devenu d’une grande banalité.
Reste-t-il quelque chose de la Gare de Ségur ? Rien n’est moins sûr… Lors de la construction de la Résidence « Le Général » en 2003, l’ancienne halle fut détruite au mois d’octobre de cette année. Quelques pièces éparses furent rangées dans le parking : élément de charpente en bois, éléments métalliques, et quelques pierres. Un ouvrier affirma « C’est gardé pour la Mémoire de Bordeaux », ce qui était hautement improbable !
Ces pièces ne présentaient pas d’intérêt. La pièce de charpente en aurait eu si elle provenait de la halle des voyageurs, mais en ce cas un des montants auraient été cintré. C’était donc un élément très ordinaire venant de la remise tout juste démolie. Les éléments de structure métallique sont certainement bien plus récent que la gare : on peut aisément dire qu’en 1841 on ne savait pas faire de tôle métallique percée de trous carrés. Quant aux gros blocs de pierre, ils pouvaient eux aussi provenir de la remise.
De nos jours, dans ce parking, subsistent quelques blocs de pierre et des pavés, indiqués comme étant des « éléments de construction de la gare de Ségur ». Pour les pierres, c’est probable, mais il est beaucoup moins certain que les pavés en soient, car ce devrait être des « pavés napoléon », plus gros et bombés (voir place de la Bourse). En tout cas ce mémorial, bien que partant sans doute d’une bonne intention, ne montre rien à voir qui soit caractéristique du domaine ferroviaire.
Bordeaux a toujours beaucoup détruit, c’est une vieille tradition.